On assiste depuis deux ou trois décennies à un engouement pour la mémoire qui touche les savoirs les plus variés autant que les institutions de l’État ou les publicitaires en mal d’idées. Les sociétés modernes avaient pourtant toujours semblé miser plus sur l’originalité du présent ou l’investissement dans l’avenir que sur le retour ou les reprises du passé. Comment comprendre alors cette résurgence? Il existe, en fait, diverses façons de se débarrasser du passé. Les sociétés traditionnelles, en le sacralisant, en agissant en son nom, impliquaient activement l’ancien dans l’actuel : le passé n’est pas un problème s’il définit le présent. Or, depuis le passage à la modernité, c’est la culture qui donne identité et valeurs aux communautés, à charge pour les historiens de comprendre un passé mis à distance, et d’autant plus énigmatique. La culture s’affranchit alors du passé en l’archivant, en le marquant du sceau du patrimoine, en l’expliquant. En étudiant certains cas littéraires et intellectuels exemplaires, Éric Méchoulan retrace les moyens qui ont permis de « mettre en culture » la mémoire. Ainsi, on peut mieux comprendre comment celle-ci a quitté le cœur de la vie sociale, et pourquoi elle reprend aujourd’hui le devant de la scène. Une réflexion troublante et nécessaire sur les bons usages de la mémoire… et de l’oubli. Éric Méchoulan est professeur au Département des littératures de langue française de l’Université de Montréal et directeur de programme au Collège international de philosophie de Paris. Il a entre autres publié, dans la collection «Espace littéraire» des PUM, Le livre avalé. De la littérature entre mémoire et culture (Prix Raymond-Klibansky 2005-2006).