On connaît « la Corriveau », sa légende sulfureuse, les grincements de sa cage et les exploits sanguinaires que lui attribue la tradition. Mais on connaît beaucoup moins les crimes illustres du « docteur l’Indienne » (1829), la terreur inégalée qu’ont semée à Québec les « brigands du Cap-Rouge » (1834-1837) et le meurtre inoubliable (1839) par lequel George Holmes a durablement ébranlé la société seigneuriale du xixe siècle. C’est l’histoire culturelle de ces figures marquantes, aujourd’hui méconnues mais longtemps obsédantes, que raconte ce livre. On y découvre un ensemble de biographies légendaires : interrogeant le processus par l’entremise duquel ces figures criminelles deviennent célèbres, Alex Gagnon analyse la généalogie de leurs représentations et met en lumière, autour de chacune d’elles, la cristallisation et l’évolution d’une mémoire collective. Au croisement entre le discours médiatique, la tradition orale et la littérature, l’imaginaire social fabrique, à partir de faits divers, de grandes figures antagoniques, incarnations du mal ou avatars du démon. La perspective est historique, l’analyse, littéraire et l’horizon, anthropologique. Toute société a ses crimes et criminels légendaires : entrer dans ce panthéon maudit, aller à la rencontre de cette communauté du dehors, c’est aussi éclairer et questionner la dynamique fondatrice de nos sociétés, qui produisent de la cohésion sociale en construisant des figures de l’ennemi et de la menace. En ce sens, cet ouvrage ne révèle pas seulement un pan inexploré de l’histoire et de la culture québécoises ; il poursuit, en s’appuyant sur des bases historiques concrètes, une réflexion générale sur ce que Cornelius Castoriadis appelait « l’institution de la société ». Docteur en littérature de l’Université de Montr.al, où il a aussi été chargé de cours, Alex Gagnon est chercheur postdoctoral à l’Université du Québec à Montréal. La communauté du dehors est son premier livre. Il publiera, en 2017 chez Del Busso éditeur, un recueil d’essais sur la société et la culture contemporaines tiré de ses interventions sur le blogue Littéraires après tout, auquel il collabore activement depuis 2010.
- TABLE DES SIGLES
- PROLOGUE
- Cage de fer, cage de verre
- INTRODUCTION
- Trois crimes et une histoire culturelle
- «Faits divers» et faits mémorables
- «Mémoire collective» et transmission
- La notion d’«imaginaire social»
- Modus operandi
- PREMIÈRE PARTIE
- La société du dessous
- Les brigandages de 1834 et 1835
- CHAPITRE !
- Le «régime des assommeurs nocturnes». De l’anonymat au dévoilement
- Le fait divers comme interpellation et sommation
- Une innommable terreur
- Urbanités nocturnes. «Le crime» et son champ sémantique
- Du fait divers à l’événement historique
- Révélations romanesques et engagement philanthropique
- Un procès de fictionnalisation
- À chacun ses bas-fonds. Un «contre-monde» canadien
- Plaidoyer pour une réforme
- Récits de crime et justice pénale
- Un «roman de l’actualité»
- CHAPITRE 2
- Bas-côtés. Poétiques de l’épuration
- L’invention des «brigands du Cap-Rouge»
- Le crime. Une réalité chronotopique
- Le criminel. Variations sur un état de chute
- La prison. Entre pitié et répulsion
- Forêts et cavernes. La canadianisation des bas-fonds européens
- Rire, trembler, pleurer
- «Bourreau des peuples». La représentation comme tentationet engendrement
- Extension du domaine d’en bas
- D’une auberge à l’autre. L’archipel des tapis-francs
- Cap-Rouge et Pic-Bleu. Une hétérotopie
- De l’alcool et du crime
- Une morale de la résignation
- Transmission d’un souvenir, persistance d’un imaginaire
- CHAPITRE 3
- La Nation contre le crime. Un patriotisme de l’expulsion
- De l’exil au royaume. Chambers contre Papineau
- Duplicité du criminel (prise quatre)
- Splendeurs et misères d’un triomphe
- La «nationalisation» des «brigands du Cap-Rouge»
- «Brigands du Cap-Rouge» et tradition orale
- Le brigand, le diable et l’Anglais
- Du moulin du diable aux plaines d’Abraham
- CONCLUSION PARTIELLE
- La canadianisation d’un imaginaire social
- DEUXIÈME PARTIE
- Le cimetière imaginaire
- Le meurtre de 1829
- CHAPITRE 4
- L’influence d’un crime. De la presse au roman
- Un tribunal de papier
- Figures du diable dans L’influence d’un livre
- Contiguïté et continuité narratives
- Le corps du crime
- Le diable et le meurtrier
- La transfiguration fictionnelle de François Marois
- Invraisemblance et incohérence. La réception du roman en 1837
- CHAPITRE 5
- La fabrication du «docteur l’Indienne». Naissance et diffusiond’une figure légendaire
- Une première apparition
- Une littérature utilitaire
- Le singulier pluriel. Présence(s) du «docteur l’Indienne»
- Chirurgie d’un roman, autopsie d’une censure
- Les squelettes qui racontent
- De la personne au personnage. Une indianisation
- «La Corriveau». Une parente proche
- Le «fils assassiné». Un parent éloigné
- Quatre facteurs de légendarisation
- CHAPITRE 6
- Extension, variations et transmission d’une légende
- Les transformations du récit légendaire à la fin du XIXe siècle
- Le descendant de Caïn
- Trois témoignages de vivacité
- «Mouvance» et ubiquité du «docteur l’Indienne»
- De la mémoire à l’histoire. La légende pétrifiée
- De la consignation à l’objectivation
- Le docteur l’Indienne. Une démarche de révision
- Vestiges. Dans la maison du meurtrier
- CONCLUSION PARTIELLE (BIS)
- L’imaginaire social: un fonctionnement synergique
- TROISIÈME PARTIE
- Taches rouges sur fond blanc
- Le meurtre de Kamouraska
- CHAPITRE 7
- Le bruit et le silence. Variations autour d’un scandale
- Circulation et fabrication de l’information. Entre bourdonnement et confusion
- «Mille contes». L’usage de la rumeur devant un meurtrescandaleux
- L’anonyme, le fugitif, l’insaisissable
- Solidarités claniques et front familial. Regard sociologique sur l’étouffement d’un scandale
- Jeux de pouvoir dans les coulisses de l’enquête
- Le procès de 1841
- Le Graal maudit. Autodafé et secrets de famille
- Pouvoir et mémoire
- CHAPITRE 8
- La mémoire confinée. Postérité littéraire et mémorielle au XIXe siècle
- Un espace public sous tension. Interférence et coprésence médiatiques
- Une «tache de sang dans nos annales»
- Une entrée en littérature. De l’«enfer» à la «vie réelle»
- La toute-puissance du récit familial
- CHAPITRE 9
- De neige et de fureur. Métamorphoses du fait divers dans Kamouraska
- Genèse du roman, transformation d’un récit
- Une justice de sang. La tache indélébile
- Le théâtre des «vieilles familles»
- Voix et regards. Une symphonie accusatrice
- CONCLUSION PARTIELLE (TER)
- L’imaginaire social. Un enjeu de pouvoir
- CONCLUSION
- Une communauté du dehors
- Figures de l’intolérable
- Ennemis imaginaires
- Les marges du monde
- Ensemble et contre
- REMERCIEMENTS
- INDEX DES NOMS PROPRES
- TABLE DES MATIÈRES