Première femme à porter l'habit vert, Marguerite Yourcenar a laissé une œuvre riche et complexe qui a beaucoup inspiré la critique. Un ressort essentiel de son écriture est, cependant, resté dans l'ombre : la mort de la mère, qui décéda quelques jours après son accouchement. Et le grand écrivain n'aura de cesse de batailler avec ce dramatique événement, véritable « scène primitive » de son imaginaire, cœur secret de chacun de ses livres.
S'appuyant sur une double lecture, littéraire et psychanalytique, Carole Allamand se propose d'éclairer les rapports existant entre la poétique de la romancière et la perte irréparable de la mère, de mettre au jour une « écriture en mal de mère ». Une écriture virile qui montre un mépris affiché pour le moi, pour un sujet dont la mise au monde fut aussi une mise à mort, une écriture qui narre la hantise de la féminité et de son sinistre privilège, la maternité.
Au fil des pages de ce brillant essai, on comprend mieux que Marguerite Yourcenar a composé son personnage d'auteur avec autant de soin que chacun de ses livres, et que son style, loin d'être voué au seul perfectionnisme classique, procède d'une perpétuelle lutte contre les forces de la subjectivité. Ainsi se trouve mis à nu le désir obsédant l'écrivain : celui d'être enfin regardée et reconnue par sa mère, Fernande, laquelle « détourna la tête quand on lui présenta l'enfant », puis ferma les yeux pour toujours.
Carole Allamand enseigne la littérature contemporaine à l'Université Rutgers (Etats-Unis).