Nous attendons d’un livre qu’il nous mette en garde contre les dangers diététiques du bifteck, qu’il revienne sur l’histoire du scoubidou et qu’il évoque les raffinements de la dentelle. Les derniers romans de Céline, soit D’un château l’autre, Nord et Rigodon, font tout cela. Mais leur interrogation première concerne l’amnésie de la société française d’après-guerre. Comment une nation réécrit-elle le passé en fonction des intérêts du présent ? Et comment un « salaud » aurait-il des choses intéressantes à dire sur la mémoire d’un peuple ? Sans chercher à condamner ni à réhabiliter l’auteur, cet essai se veut une analyse des symboles, des motifs et des usages de l’amnésie collective telle qu’elle est mise en scène dans ses derniers romans. Ceux-ci racontent une version illégitime de la Seconde Guerre mondiale au prisme de genres désuets, d’intertextes issus du patrimoine littéraire, d’archaïsmes linguistiques et d’allusions historiques. Ces lignées littéraires perdues sont réactualisées par l’écriture afin de révéler les trous de mémoire collectifs. Ce livre propose une lecture originale des derniers textes romanesques de Céline. Il examine leur inventivité linguistique, leur humour, leur étrangeté, parfois, et surtout leur portée critique à l’égard des représentations de la mémoire d’une société qui veut oublier la guerre qui vient de s’achever, tout en en gardant à jamais le souvenir.