"[1] “Les fleuves remontent”, dit le proverbe. Un cynique accuse Diogène de vaine gloire.Il ne veut pas se baigner à l’eau froide, bien que d’un corps vigoureux, plein de séve et dansla fleur de l’àge : il a peur de prendre du mal, et cela au moment où le dieu Soleil entre dansle solstice d’été. Il se moque de la folie et de la sotte vanité de Diogène puni d’avoir mangéun polype, nourriture qui produit en lui l’effet mortel de la ciguë. Il a poussé si loin lasagesse qu’il sait précisément que la mort est un mal. Or, le sage Socrate avouait n’en riensavoir, et après lui Diogène. Car celui-ci, dit-il, en présentant un poignard à Antisthèneépuisé par une maladie longue et incurable, lui demande s’il a besoin du secours d’un ami. Ilpensait donc que la mort n’a rien d’effrayant, ni de douloureux. Pour nous, qui avons aussiadopté le bâton, nous savons, de science plus certaine, que, si la mort est un mal, la maladieest un fléau pire que la mort même, mais que le pire de tout, c’est d’avoir froid. En effet,un malade peut se tenir mollement pendant qu’on le soigne, en sorte que sa maladie peutdevenir tout plaisir, surtout s’il est riche. J’ai vu moi-même, par Jupiter, des malades vivreplus doucement qu’en bonne santé, où cependant ils étaient splendidement dans les délices.Ce qui m’a fourni l’occasion de dire parfois à mes amis, qu’ils devaient plutôt envier le sortdes domestiques que celui des maîtres, et qu’ils se trouveraient mieux d’être pauvres et nuscomme le lis, que riches comme ils étaient. Du moins cesseraient-ils d’être tout ensemblemalades et opulents. Tant il y a de gens qui croient beau d’étaler à la fois le faste de leurmal et le mal de leur faste ! Mais l’homme réduit à souffrir le froid et à endurer la grandechaleur, n’est-il pas plus malheureux que les malades ? ll souffre une douleur sans remède".